Aurora descend dans l’un des nombreux hôtels — modestes — qui foisonnent autour de la gare de Cornavin. L’impact de ce premier après-midi à Genève, cette ville qu’elle connaîtra si bien un jour, ne manque pas de nous surprendre par les observations qu’elle lui suggère. La perspective d’un été dans les Alpes et de ses futures études à l’Institut Dalcroze la font se sentir intensément vivante.
Madame Molina m’accompagna à l’Hôtel des Familles, juste en face de la gare. Le lendemain matin, de très bonne heure, nous nous retrouvâmes dans le vestibule. Le violoniste se rendrait directement à Mürren. Je profitai de l’après-midi pour visiter le quartier destiné aux visiteurs étrangers. La Suisse était alors le premier pays du monde à se consacrer au tourisme. Elle fut ensuite imitée par tous les autres pays. À Genève, près de la gare, du lac et de ses quais, se trouvaient les grands hôtels de Russie, des Bergues, le Richemond, le Métropole — sur l’autre rive du Rhône. Ils respiraient tous la propreté, le confort, le luxe... Tout le long de la rue du Mont-Blanc, du quai des Bergues, du quai Gustave-Ador, de la place Cornavin, des salons de thé, des pâtisseries, des restaurants et des cafés côtoyaient un chapelet de magasins éblouissants qui exhibaient une multitude d’objets inutiles mais de la plus grande qualité : des fourreurs, des maroquineries, des bijouteries, des horlogeries... Des agences de voyage, aussi, dont les affiches proposaient au public les voyages les plus fascinants : des pyramides d’Égypte, de la Sicile, de Naples ou de Rome à des excursions, moins somptueuses, aux sources du Rhin, à la Mer de Glace ou au Grand-Saint-Bernard. Mais tous ces miroirs aux alouettes ne m’éblouissaient pas. Mon voyage du lendemain au cœur des Alpes suffisait à me ravir.
L’été 1923 s’achève. Après avoir joué dans plusieurs hôtels des Alpes — le Kurhaus de Mürren fut le dernier — Aurora retourne à Genève, cette fois-ci pour y rester plus longuement, le temps de ses études. Mais lisons d’abord quelques notes de son voyage de Mürren à Genève.
Le 4 septembre, le trio Molina - Txereixewski - Bertrana avait terminé son contrat avec l’Hôtel Kurhaus. Chargés d’instruments, de partitions et de valises, nous nous entassâmes dans un wagon du funiculaire en compagnie d’un groupe de garçonnets qui descendaient jusqu’à Lauterbrunnen pour aller à l’école. [...] Le trajet de Mürren à Genève en passant par Lauterbrunnen, Interlaken, Berne, Neuchâtel et Lausanne était très intéressant. Les lacs de Thun et de Brienz, celui de Neuchâtel... Le Léman, surtout, si vaste qu’on avait du mal à en discerner l’autre rive de la voie ferrée, qui pourtant le longeait. Tout relançait mon enthousiasme de plus belle.