L'itinéraire littéraire Aurora Bertrana à Genève est le numéro 16 de la collection d'itinéraires littéraires autoguidés publiée par la Càtedra de Patrimoni Literari Maria Àngels Anglada - Carles Fages de Climent. La présentation, le plan et la sélection des textes ont été réalisés par Mariàngela Vilallonga; la traduction, par Isabel Carbonell.

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Née à Gérone le 29 octobre 1892, Aurora Bertrana meurt à Berga le 3 septembre 1974. Fille de Prudenci Bertrana, écrivain lui aussi, Aurora est une grande voyageuse et une femme très moderne pour son époque : c’est une véritable pionnière, aussi bien dans le monde de la littérature que dans la vie. Son premier séjour en Suisse se déroule du milieu de 1923 à 1926. Cette année-là, elle part pour trois ans en Polynésie française avec son mari, le Suisse Denys Choffat, qu’elle avait épousé à Barcelone en 1925. En 1929, le couple revient en Europe pour s’installer en Catalogne jusqu’en 1938. Cette année-là, Aurora, républicaine notoire, doit s’exiler. Elle s’installe d’abord à Genève, puis à Perreux (Neuchâtel), seule car son mari s’était aligné dans les rangs franquistes. Aurora rentre définitivement en Catalogne en 1948.

Dans le premier volume de ses Mémoires, Aurora Bertrana écrit : « La première chose que l’on doit faire dans la vie, c’est la vivre et, seulement ensuite et pas forcément, "l’écrire" en connaissance de cause ». L’engagement culturel, social et politique d’Aurora lui a permis de vivre l’existence intense que son écriture exigeait. Et c’est en Suisse que le germe de sa vie et de son œuvre se cache.

En effet, le premier séjour en Suisse d’Aurora bouleverse littéralement sa vie. C’est là qu’elle découvre sa place dans le monde ; c’est là qu’elle devient une femme moderne et cosmopolite ; c’est là qu’elle trouve la liberté de se forger un nouveau destin riche en péripéties, en voyages et en connaissances qui feront éclore son imagination et lui permettront de réaliser son rêve d’enfant : écrire. C’est le premier séjour en Suisse d’Aurora qui, en un mot, lui donne matière à écriture. Rem tene verba sequentur, dit la sentence latine : « Possède ton sujet et les mots suivront ». Le parcours vital d’Aurora en Suisse n’est qu’évolution, une évolution constante et fulgurante. Aurora transforme sa vie, absolument insolite pour une jeune femme catalane de son époque, en matière littéraire. Ce n’est pas en vain que sa première publication, une série de sept articles dans La Veu de Catalunya, s’intitule « Les impressions d’une étudiante en Suisse ». La vie elle-même et ses décors constituent la matière première dont se nourrit sa littérature. Comme le disait Pline le Jeune de son oncle Pline l’Ancien, Aurora est de ces personnes qui possèdent la double vertu de réaliser des actes dignes d’être racontés et d’écrire des choses dignes d’être lues.

 

Le second séjour en Suisse d’Aurora sera, quant à lui, le ballon d’oxygène qui lui permettra de reprendre son souffle et d’aller de l’avant tout en rencontrant d’autres exilés catalans. Dans le deuxième volume de ses Mémoires, elle écrit : « On pourrait remplir tout un volume sur les Catalans en Suisse, et je ne crois pas qu’il fût des plus ennuyeux, à condition de ne rien vouloir cacher ou de ne pas essayer d’édulcorer les aventures de toutes sortes qu’ils ont vécues dans ce pays ». C’est avec ce volume que nous commencerons l’itinéraire genevois de notre pionnière. Nous espérons que ce ne sera pas le dernier.

Cet itinéraire adopte un suivi chronologique de la biographie littéraire d’Aurora. J’ai spécialement recouru à ses Mémoires, même si certains extraits sont tirés d’autres œuvres, comme il l’est indiqué dans la bibliographie finale. Aurora maîtrise la description des lieux ; ses affirmations et ses jugements de valeur sont toujours précis et catégoriques, sans jamais perdre une nuance d’ironie et un certain recul. Ses textes sur Genève permettent au lecteur de se faire une idée assez précise de cette ville, aussi bien d’un point de vue géographique que social, politique et culturel ; tout en découvrant la vie d’Aurora, nous découvrons aussi les différences qui séparent Genève de Barcelone. C’est ainsi toute la vie des exilés en Suisse qui palpite entre leurs lignes.

Cet itinéraire d’Aurora Bertrana à Genève a vu le jour en avril 2016 quand, invitée par le professeur Bertrand Lévy, j’eus le plaisir à prononcer à l’université de Genève une conférence sur la présence des Catalans dans cette ville. Je venais justement de retracer les expériences de trois écrivains catalans en Suisse — Aurora Bertrana, Mercè Rodoreda et Cèlia Suñol — à l’université de Neuchâtel. La collaboration du professeur Lévy a été précieuse au moment d’établir l’itinéraire genevois d’Aurora. Je réitère ici mon immense gratitude pour son enthousiasme envers l’œuvre d’Aurora, tout en espérant que notre collaboration sera toujours aussi fructueuse que jusqu’à présent.