Nicolau d'Olwer


Lluís Nicolau d’Olwer et Aurora Bertrana. Fons Lluís Nicolau d’Olwer des Archives de l’Institut d’Estudis Catalans

L’amitié qui lie Aurora Bertrana et Nicolau d’Olwer va durer toute leur vie, comme cela s’exprime non seulement dans les Mémoires d’Aurora, mais aussi dans leur correspondance, qui est conservée aux archives du monastère de Montserrat. Nicolau aidera Aurora à trouver un éditeur pour ses chroniques de Polynésie, qui paraîtront finalement aux éditions D’Ací i D’Allà. 

Girona: Diputació de Girona, 2013

Dans ses Mémoires, elle évoque ainsi cette amitié sur fond de décor genevois.


Un jour, dans la rue, j’ai rencontré Lluís Nicolau d’Olwer. Nicolau était un homme que je n’avais pas vu souvent mais que j’admirais beaucoup. Sa personnalité intellectuelle et politique m’inspirait un profond respect. Le fait de nous retrouver nez à nez dans une rue de Genève a fait naître entre nous une cordialité immédiate. Nicolau m’a dit qu’il vivait dans un petit village de Haute-Savoie près de Genève, à Monnetier ou à Mornex, je crois. Lorsque je lui ai demandé ce qu’il pouvait bien faire dans le coin, il m’a répondu qu’il écrivait. La dictature de Primo de Rivera l’avait forcé à s’exiler. Il avait choisi ce bel endroit paisible sur le Mont Salève parce qu’il pourrait y travailler en paix et, en même temps, fréquenter des gens intéressants à Genève. [...] Nous avons passé ensemble des heures et des heures à canoter, à nous promener, à manger, à nous reposer, allongés... Pourtant, jamais, pas le moindre instant, il n’y eut entre Nicolau et moi un seul de ces gestes, de ces mots ou de ces regards équivoques qui surviennent d’ordinaire dans les relations amicales entre un jeune homme et une jeune femme, et qui peuvent les troubler.                                                                                                         

Plus tard, beaucoup plus tard, après la guerre d’Espagne, Nicolau et moi, nous nous sommes revus à Genève. Il vivait maintenant à Paris. C’était un nouvel exil pour lui et, cette fois-ci, pour moi aussi. Mais notre amitié était toujours la même. Nous ne faisions plus de promenades en barque et nous ne nagions plus dans le Léman, nous ne faisions plus la sieste ensemble, allongés chastement l’un à côté de l’autre dans l’herbe ou sur le sable du rivage. Je conserve encore une photo de cette époque : Nicolau, coiffé de son chapeau habituel enfoncé jusqu’aux oreilles, son non moins habituel petit ruban noir noué autour du cou, appuyé sur la balustrade du pont du Mont-Blanc ; moi, à côté de lui, vêtue d’un long manteau et d’un petit chapeau en feutre garni d’une voilette que le vent des Alpes faisait voleter. C’était un photographe ambulant qui l’avait prise, et Nicolau lui avait donné son adresse à Paris. Quelques jours plus tard, il m’envoya la photo à Genève, accompagnée d’une longue dédicace. Après avoir posé pour notre portrait, nous avions pris un train à la gare de Cornavin. Nous étions descendus à Nyon et nous étions retournés nous asseoir sur l’herbe un peu humide des prés jurassiens, moi, assise sur le manteau de Nicolau.

Entre 1924 et 1930, Nicolau et moi avions maintenu une correspondance : lui, en France, et moi, en Suisse; lui en Suisse, et moi, en Catalogne. Lui, en Catalogne et moi, en Polynésie orientale. Pendant les années de la République, nous étions tous les deux en Espagne. Nous nous voyions peu et nous ne nous écrivions pas du tout. Nous ne nous sommes revus qu’en 1939. C’étaient des temps difficiles aussi bien pour lui que pour moi, mais les moments que nous passâmes ensemble furent d’une plénitude et d’une harmonie parfaites.