Sa première chambre, chez le pharmacien Brachard


Photo: Mariàngela Vilallonga

L’itinéraire des maisons genevoises où Aurora a vécu pourrait constituer toute une route à part de notre circuit. Elle les décrit toutes et devance, ici aussi, d’autres écrivains comme Paul Auster qui, dans sa Chronique d’hiver publiée en 2012, catalogue une à une toutes les maisons qu’il a habitées avec la précision quasiment maniaque d’un entomologiste. Voici le premier logis de son premier long séjour à Genève: une chambre chez un pharmacien.

Girona: Diputació de Girona, 2013


Je suis arrivée à Genève sans m’en rendre compte. Notre trio s’est séparé à la gare même. Le violoniste, la pianiste et moi avions échangé nos adresses sans la moindre intention de nous revoir. J’allais vivre à la Terrassière, chez un pharmacien du nom de Brachard. Madame Brachard louait une chambre intérieure aux étudiants sans ressources. La pharmacienne et moi nous étions mises d’accord par correspondance. J’ai donc laissé mon violoncelle à la consigne et, lestée de ma valise, suis montée dans un tramway qui me laisserait près de mon nouveau logement, 4, rue Terrassière, à deux pas de l’Institut Dalcroze. La chambre était grande, retirée et obscure. J’ai ouvert la fenêtre et la vue m’a consternée : une cour humide et sombre où s’entassaient des caisses, des vélos, des seaux à poubelle et où flottaient des remugles de moisi et de fumée. Je me suis penchée par la fenêtre en tordant le cou pour essayer d’apercevoir un pauvre rectangle gris de ciel suspendu au-dessus de la maison. J’aurais voulu croire que, plus haut et plus loin, ce même ciel était bleu et lumineux. Peut-être que quelqu’un pouvait en jouir depuis un lieu privilégié, au bord de la Méditerranée ou bien très haut, dans les Alpes.

Girona: Diputació de Girona, 2013


Une autre période de ma vie commençait, qui se caractériserait par une lutte acharnée pour subsister et avancer dans mes études. Je fis alors déjà le premier sacrifice de cette nouvelle étape à la pâtisserie-cafétéria de la Terrassière : pour faire des économies, je ne demandais pas le café au lait dont j’avais pourtant si envie. Deux œufs sur le plat et deux tranches de pain étaient une maigre pitance pour mon appétit et je n’en faisais qu’une bouchée pour calmer momentanément ma faim. [...] Madame Brachard ne me demandait qu’un franc par jour pour sa chambre, café et lait inclus.