L’université


Monument dédié aux pères de la Réforme. Photo: Mariàngela Vilallonga

Pendant ses deux séjours à Genève, l’université est une référence intellectuelle et une planche de salut pour Aurora. Nous pouvons le lire dans les morceaux qui suivent et qui sont bien représentatifs des deux époques.

Girona: Diputació de Girona, 2013


J’ai même eu un peu peur… Mais j’aimais bien être assise à l’arrière d’une moto et encore plus pour découvrir de nouveaux quartiers de la ville. Txereixewski a fait deux ou trois crochets pour me les montrer. Nous nous sommes arrêtés au jardin des Bastions, là où s’élève l’université de Genève et le monument spectaculaire dédié à la Réforme. Farel, Calvin, Bèze et Knox, gigantesques, fantasmagoriques, blancs, droits et rigides, s’appuyaient contre les murailles des anciennes fortifications. Ils semblaient vouloir faire peur aux pacifiques habitués du jardin. Les arbres, les arbustes, les fleurs et le gazon s’étendaient, verts et tendres, comme s’ils essayaient d’adoucir la sévérité du monument. Beaucoup de jeunes mamans, chargées d’enfants, poussaient des landaus ou tricotaient à l’ombre aimable des feuillages.

Après avoir contemplé et commenté le monument dédié aux réformateurs, nous sommes remontés en selle et avons roulé vers le restaurant russe. La soupe au chou, au paprika et au sucre ne m’a pas beaucoup plu. C’est un plat trop exotique pour mon palais, même s’il est parfaitement mangeable. Je n’ai pas goûté la vodka.

Girona: Diputació de Girona, 2013


Mes objectifs et mes tâches de l’université littéraire étaient sacrés. Ni [Monsieur François] ni moi n’essayions de nous cacher que mon retour à la Faculté des Lettres répondait à mon désir d’y trouver non seulement un refuge intellectuel et moral, mais aussi une température ambiante satisfaisante. La tiédeur du chauffage central, restreint mais non pas supprimé, nous unissait. J’assisterais à tous les cours qu’il me plairait, ce n’était pas la peine de m’y inscrire : Histoire de la littérature italienne et française, Rédaction, Phonétique... Monsieur François ouvrait grand les bras en me montrant l’intérieur du bâtiment.

—Bon, alors, vous savez, vous êtes ici chez vous.

Et c’est ce qui arriva ! Tant qu’il y aurait un cours de littérature à suivre, tant qu’il y aurait des calories et de l’éclairage électrique dont profiter, je serais à la fac de Lettres. On n’avait jamais vu quelqu’un aussi avide « d’apprendre » (!) que moi, même si, la nuit tombée, l’université s’assombrissait et la Winkelried se frigorifiait. [...] je sortis de mon engourdissement en voyant mon très cher et très admiré Henri de Ziegler monter en chaire pour le cours d’Histoire de la littérature française. Il était encore frais comme un gardon. Le temps n’avait pas affecté son humeur combative. Il ne transigeait pas sur Voltaire. [...] il ne se contentait pas des poncifs de la littérature : Flaubert, Balzac, Colette... et le grand favori de l’époque, André Gide. (Personnellement, la lecture de certaines oeuvres d’André Gide me donnait envie de vomir.) [...] C’était un grand et fidèle admirateur de l’écrivain vaudois Ramuz.

Girona: Diputació de Girona, 2013


C’est donc grâce à l’université, et à l’université, que je résolvais partiellement un de mes problèmes : celui du chauffage et de la culture littéraire. Quand le jour tombait, hélas, les lumières des salles de classe s’éteignaient. Le jardin des Bastions se drapait dans les ténèbres, le froid et le silence. Il fallait rentrer à Winkelried. Et qu’est-ce qui m’attendait à Winkelried ? La solitude, le froid et le silence. L’horrible froid, surtout, que je n’avais plus le courage de supporter.